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Ze Records Of A Lifetime
13 décembre 2020

L’art délicat d’enfoncer les portes ouvertes…

 

J’aime le paradoxe.

 

Je ne vous balance pas cette affirmation sans raison. C’est une façon comme une autre d’entamer cette nouvelle chronique, mais j’estimais important de vous en faire part avant de m’attarder sur le disque qui en sera l’objet. Mon propos ne peut être intelligible pour la plupart d’entre vous que si je m’en explique au préalable. Il n’est pas question, je vous rassure, de me lancer dans une longue et vaine logorrhée verbale qui ne fera qu’obscurcir la teneur du message que je tiens à vous transmettre. Nous ne sommes pas là pour nous entretenir de philosophie, juste pour parler de musique.

 

Et c’est bien là que réside le cœur du problème et vous fera comprendre le choix qui va suivre. Il est certain qu’il surprendra un certain nombre des lecteurs qui prendront la peine de s’attarder sur ces lignes. Mais c’est là qu’intervient la notion de paradoxe par laquelle j’ai débuté ce texte. Il ne s’agit pas de déclarer ma flamme à un concept qui, sur le principe, n’a pas grand-chose à voir avec le thème que nous abordons sur ce blog – qui, soit dit en passant, n’est guère ravivé par l’humble rédacteur que je suis par manque de temps, hélas. Mais, si je suis attaché à ce terme, c’est parce que je suis fermement opposé à toute forme de facilité bien-pensante qui consiste à s’abriter derrière le tout-venant ou le convenu et d’éviter ainsi toute prise de risque. Ma démarche n’a pourtant rien d’héroïque à la base. Je ne m’imagine pas un seul instant me parer du lourd costume de contestataire bon teint ou de redresseur de torts impénitent au nom d’une indépendance de façade déjà garantie par l’anonymat de mon pseudo de pacotille derrière lequel je suis en mesure de donner libre cours à mes élucubrations littéraires.

 

Bref, pour ne pas avoir à m’appesantir sur ce débat sans fin qui ne regarde au fond que ma petite personne, je me refuse à tomber dans le piège d’une sélection pragmatique qui consiste à saluer en permanence l’œuvre ultime d’un artiste de renom au simple nom du fait que c’est un chef d’œuvre qui a su traverser les époques après avoir marqué la sienne. C’est pour cette raison, et même si je juge que ce type d’initiative éditoriale est parfois intéressant, que je renâcle à feuilleter les listes des prétendus « meilleurs-albums-de-tous-les temps », bien que vous noterez que l’on retombe immanquablement, à quelques exceptions près, sur les mêmes disques. Il y a là-dedans une forme d’arbitraire qui me déplait car tout reste au fond une question de subjectivité. Dans ces classements, il arrive fort souvent que nombre d’albums qui vous accompagnent depuis des lustres n’y figurent pas, et vous serez le premier à vous agacer de ne pas les voir à la place qu’ils méritent. Vous verrez, en dehors de rares enregistrements estampillés « cultes », qu’on retient aussi les chiffres de vente, comme si le nombre d’exemplaires écoulés au gré des années ou des décennies en faisaient par essence un monument de l’histoire du rock. Si je veux me montrer un brin cynique, il y eut parfois des succès mondiaux qui m’ont laissé au mieux circonspect au pire totalement indifférent tellement la qualité musicale de l’album objet d’une vénération internationale mais surfaite me semblait pour le moins suspecte. Je pourrai vous en citer une liste longue comme le bras, mais je ne souhaite pas pour le moment m’attirer les récriminations vindicatives des gardiens du temple qui ne goûterait à mon opinion tranchée sur des œuvres prétendument inattaquables.

 

En ce sens, The Soft Parade des Doors est dans l’esprit de mon introduction. Il est inutile, je pense de vous les présenter ou de vous énumérer le nom des membres de ce groupe qui a marqué l’histoire du rock avec un grand H. Il est également inutile de revenir sur son histoire compliquée. Un très mauvais film d’Oliver Stone s’en est déjà chargé.

 

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Formés au milieu des années soixante, ils furent les représentants d’une vague déferlante issue de la côte Ouest des Etats-Unis et les porte-drapeaux d’un style unique en son genre, mélange de chansons populaires qui ont su glaner les sommets de charts, de revendications sous-entendues dans des textes au lyrisme déjanté voire scabreux ou boursouflés de leur meneur en chef, le charismatique et iconique Jim Morrison – dont  les photos continuent à servir d’icones pour des milliers d’adorateurs à travers la planète – et d’une forme d’intellectualisation de ce rock qui n’était plus seulement l’apanage de teenagers boutonneux et en transes. En fait, Morrison et sa bande ont peut-être anticipé le fait que ce public avait grandi, pris en maturité et était prêt à entendre ce qu’ils avaient à dire par le biais de leurs chansons. On ne voulait plus se contenter de bluettes aux paroles lénifiantes sur le thème sirupeux du « I love you and you know it’s true » dégoulinant de mièvrerie. Au travers de ses premiers titres, le groupe avait su conquérir la jeunesse de son pays d’origine sans tomber dans les pièges d’un show-business prompt à les dévorer tout cru. Leurs concerts étaient de véritables messes où Morrison s’accaparait le rôle du prêcheur en mode déclamatoire arpentant l’espace de la scène sous les yeux énamourés ou passionnés de fans proches de l’hystérie. Bien sûr, il y eut des débordements, des interruptions de concerts, des arrestations mémorables sur scène, le plus célèbre étant celle de ce concert de Miami ou Los Angeles (je parle de mémoire car je n’en suis plus sûr à cent pour cent, l’inconvénient d’écrire sans aucune note) où il avait été empoigné sur scène par les forces de police après avoir dévoilé ses attributs virils face à une foule qui avait pu apprécier cet exhibitionnisme un poil (excusez du terme) outré. Mais tel était Jim, outrancier à l’excès, brûlant sa vie par les deux bouts, perpétuellement sur la corde raide, obsédé par une gloire destructrice qui lui était véritablement tombé sur la tête à la suite de ce Light My Fire qui avait embrasé le cœur et l’âme de millions de ses semblables.

 

Par la suite, des tubes, il y en eut par poignées (normal pour un groupe qui s’appelle The Doors… j’arrête là les blagues à deux sous dont je me suis fait le spécialiste au risque de me voir claquer la porte au nez par des hordes furieuses qui n’apprécieraient guère cet humour buté dont je m’obstine à faire usage. J’ai atteint un seuil que je ne m’aventurerai pas à dépasser). Le plus étrange est d’avoir su acquérir une immense renommée avec des textes sombres, des mélodies fortement imprégnées de musique contemporaine (leur claviériste, Ray Manzarek, avait une formation classique) ou de jazz et de blues (Robbie Krieger était et reste un formidable guitariste et John Densmore un batteur au groove unique). C’est d’ailleurs ce qui fait la richesse des Doors, cette synthèse entre plusieurs genres qui ne manqueront pas d’être aussi une source d’inspiration pour les groupes progressifs de la décennie suivante, à légal du Jefferson Airplane ou Grateful Dead. Par contre, il est pour le moins étonnant que des titres si difficiles d’accès comme The End (et son fameux passage censuré, le quasi œdipien « Mother, I want to… » car trop choquant pour les âmes sensibles mais que Jim ne se gênait pas à hurler par pure provocation sur scène) ou When The Music Is Over, des litanies de plus de dix minutes pas vraiment destinées à être diffusées sur les ondes radios aient autant les préférences des fans. Balançant entre approche commerciale et orientation cérébrale, The Doors demeure donc un cas unique en son genre.

 

Pourtant, à compter de son 3ème album, Waiting For The Sun, le groupe adopte un schéma plus classique faisant le choix de chansons courtes et fortement « pop », comme le révèle Hello, I love you, bien plus abordable et légère. Les esprits chagrins pourraient y voir une forme de déclin, et cet opus, même s’il n’atteint pas la puissance sonique des deux précédents, a de réels qualités et mériterait amplement d’être réévalué. Le souci, à l’image de celui qui lui a succédé, est d’être coincé entre quatre mastodontes qui ont suffi à parer le quatuor des vertus de l’immortalité. D’ailleurs, si vous étudiez attentivement les compilations des Doors, vous vous rendrez compte que peu de chansons des Waiting For The Sun ou The Soft Parade, parviennent à s’y faire une place de choix. A ce niveau, on parlera d’une forme d’ostracisme, probablement parce qu’on les jugent moins dignes des autres.

 

Et c’est justement là que repose le ferment de la thèse que je soutenais plus haut. A savoir que les deux albums précités comptent pour moi parmi les meilleurs du groupe quoi qu’en disent les médisants de tous bords. En ce sens, The Soft Parade, édité en 1969 – année bénie pour le rock lorsqu’on voit la série d’immenses albums publiés en quelques mois – a démontré que Morrison et ses sbires étaient capables de proposer un produit différent et de ne pas s’enfermer dans un schéma préétabli qui consiste généralement à se plier à la volonté d’un public qui s’attend à ce que vous fassiez exactement ce qu’il souhaite, quitte à vous répéter inlassablement et n’être plus qu’une pénible caricature de vous-mêmes.

 

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En réalité, The Soft Parade passe habituellement pour le disque le plus faible des Doors, pour ne pas dire le plus mauvais. Il lui a été souvent jeté un anathème injustifié selon moi. Il est évident que le style adopté, les arrangements ou le contenu sont aux antipodes de ce que le groupe a pu produire auparavant. Ici, c’est luxuriant, plutôt enjoué si l’on se réfère à l’ambiance générale. On note l’intervention d’un orchestre à cordes et cuivres tonitruant (l’excellent – si, si – Tell All The People), ailleurs un clavecin sautillant (Touch Me) ou menaçant (Shaman’s Blues). Morrison s’extirpe enfin de sa peau du « King Lizard » pour explorer d’autres voies, se faisant volontiers crooner par moments, voire se laissant aller à des extravagances qu’on ne lui connaissait pas (le rigolo Runnin’ Blue et son atmosphère square-dance endiablée que l’on couplera au primesautier Easy Ride). En fait, et je crois que c’est là que l’on trouvera les ferments de l’incompréhension qui a saisi les admirateurs du groupe et qui persiste encore aujourd’hui, c’est la tonalité éclatée de cet album qui n’a rien en commun avec le reste de sa discographie. Un titre comme Wishful Sinful dans lequel les cordes tiennent en fois de plus – une fois de trop ? – la dragée haute avait de quoi estomaquer les adorateurs de Break On Thru ou de Strange Days

 

Toutefois, à bien l’écouter en prenant un minimum de recul, il y a une logique imparable dans tout cela, celle d’un groupe qui restait ouvert (ok après celle-là, j’arrête…) à d’autres formes d’expression musicale. Quoi de plus beau et de meilleur de ne pas se figer, de ne pas se braquer sur une vision étriquée de son art et de succomber de temps à autre à une forme de récréation qui n’a rien de honteuse sur le fond ou la forme ? The Soft Parade pourrait volontiers être assimilée à une parodie des Doors par eux-mêmes. Mais ce serait un avis réducteur et totalement erroné. La preuve en est avec le morceau qui clôt l’album, le superbe titre éponyme qui contient ce vers génial : « You can not petition the Lord with prayers », l’une des plus grandes pièces jamais écrites par le groupe, un morceau à tiroirs découpé en plusieurs actes et qui monte crescendo après un passage au clavecin, un intermède aux accents funky puis une conclusion en mode rageur avec un Jim à son zénith. Au final, c’est cette chanson qui est certainement la plus proche du style des Doors. Elle sera d’ailleurs en partie reprise dans le très long et parfois abscons Celebration of The Lizard. Mais, vu les critiques très négatives de l’époque, The Soft Parade sera vite remisé au placard, car indigne du talent des Doors pour la majorité de ces pourfendeurs.

 

Cependant, et je ne crois pas être le seul, notre jugement sur celui-ci mérite amplement d’être révisé. La preuve en est qu’il a été somptueusement réédité à l’occasion de ses 50 ans dans une édition comprenant nombre de prises alternatives, dont l’ensemble des titres avec seulement Morrison, Manzarek, Krieger et Densmore, sans l’apparat d’origine, une nudité qui leur sied parfaitement et démontre mieux que tout autre argument combien ils étaient de haute volée.

 

Alors oui, il est temps de réhabiliter The Soft Parade et de l’aborder avec un œil neuf sans courir le risque de s’enfermer dans des clichés vers lesquels on tend à rattacher des musiciens qui ont su imprimer d’une marque indélébile leur empreinte à un instant donné. Il convient de toujours envisager l’œuvre d’un artiste quel qu’il soit dans sa globalité et non d’opérer une sélection drastique qui, par essence, est totalement absurde. Des génies ont pu se fourvoyer, faire le disque de trop, le truc improbable qui prouve qu’on a tous le droit à l’erreur et qu’un bref égarement ne remet nullement en cause les compétences d’untel ou d’untel.

 

C’est pour cela que je vous recommande vivement de vous plonger au plus vite dans The Soft Parade sans chercher à y voir autre chose que la concrétisation d’un projet un peu rembarré et à part dans une carrière exceptionnelle qui continue d’influencer encore de nombreux musiciens, bien que le succès des Doors demeure un secret bien gardé dont seuls eux détenaient la clé … (bon OK, j’ai craqué une nouvelle fois sur la fin…)

 

Alex Miles

PS : Le morceau habituel... Une version live assez rare

 

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Commentaires
C
retour éphémère vers le passé avec ce morceau , à 23 piges je viens de prendre un coup de jeunesse un instant dans ces années grand Charles
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