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Ze Records Of A Lifetime
25 octobre 2020

Tragi-Comedy

Faisant foin du contexte sanitaire actuel et des menaces de reconfinement partiel, total ou ciblé qui nous sont assénées à tout bout de champ par des médias complaisants, je ressors du bois en ce jour d’octobre alors que nous sommes désormais à deux doigts d’hiberner contre notre gré pour une bonne partie de l’hiver. Autant dire que l’on risque fort d’avoir les boules à Noël, et par uniquement celles qui décoreront notre beau sapin.

 

Je ne prétends pas être le porteur de mauvaises nouvelles ou me montrer prophète en la matière dans de telles circonstances, mais il était temps de me remettre à l’ouvrage et d’œuvrer de nouveau sur ce blog que j’avais – encore une fois – laissé de côté pendant une période prolongée au point de vous faire croire qu’il était mort sans avoir vraiment vécu.

 

Sans rentrer dans des détails personnels qui, à ce titre, ne vous intéresseront pas et seront hors-sujet, disons, pour résumer, que certaines évolutions de type professionnel m’ont empêché de donner un digne successeur à mes précédents articles. Vous me voyez désolé de mon manque de régularité dans la composition de textes qui ont avant tout pour but de vous faire partager mon amour – et le terme n’est pas exagéré – pour des disques qui ont jalonné ma vie et  continuent à la marquer de leur sceau indélébile en dépit du temps qui s’écoule.

 

Donc, prenant mon courage à deux mains et mes dix doigts engourdis par manque d’exercice tapuscrit, je me suis vaillamment remis à l’ouvrage en espérant qu’il ne faille pas attendre encore six mois à un an pour vous proposer la suite de mon voyage intime au pays des notes.

 

Pour ce faire, il était crucial de dénicher le bon prétexte pour reprendre ces activités parallèles et vous dénicher la galette à même de me redonner l’allant nécessaire à vous rédiger  quelques pensées futiles et procurer l’envie à mes chers lecteurs de se plonger séance tenante dans la découverte d’une œuvre essentielle à mes yeux.

 

Et voilà que les hasards du calendrier m’ont fourni l’occasion idéale de vous causer d’un des groupes envers lequel je voue une admiration sans failles depuis une vingtaine d’années. Je n’écris pas ces mots sans un vif pincement au cœur, compte tenu qu’il avait été prévu que j’aille le voir en concert à la fin du mois de septembre dernier si ce fichu Covid-19 n’en avait empêché la tenue au sein du prestigieux cadre de la Philharmonie de Paris. Notez que je ne ressens aucune amertume ayant déjà eu le bonheur d’être le témoin privilégié d’une bonne dizaine de ses prestations avec un plaisir renouvelé. Ce n’est donc que partie remise, mais j’en étais d’autant plus peiné que l’artiste en question s’apprêtait ni plus ni moins à nous interpréter sur scène l’intégralité de son œuvre répartie sur six soirées, à raison de deux albums par soir. Autant dire que cette expectative m’avait mis dans tous mes états et que j’avais réservé des places pour les deux soirées au cours desquels il auraient dû jouer trois de mes scuds favoris. Hélas, le sort en a voulu autrement.

 

Mais je ne suis pas là pour m’épancher sur mon désarroi de spectateur frustré et après vous avoir seriné, comme à mon habitude, avec une introduction sans fin, j’en viens enfin au sujet qui nous concerne. Il y a quelques jours de cela a été édité en format CD et vinyle un luxueux coffret regroupant les bons offices de The Divine Comedy mené par le brillantissime Neil Hannon, à la fois chef d’orchestre, pluri-instrumentiste, auteur, compositeur, chanteur, et pour ainsi unique membre d’un ensemble dont la composition a évolué au gré du temps. The Divine Comedy est à classer au sommet de mon panthéon musical. Il serait inutile de vous décompter le nombre de fois où chacun de leurs albums est passé sur la platine laser. Sans faire preuve d’une prétention déplacée, je les connais quasiment par cœur, note par note. Ce groupe, c’est un peu comme l’ami de la famille, le gars précieux dont on finit par penser que l’on est l’un des rares à connaitre son existence et qu’on se targue de faire découvrir à un cercle limité de relations pour ne pas en gâcher la beauté. C’est un trésor jalousement gardé, le plus incroyable que nous est donné la bonne veille Angleterre. Même si Neil est Irlandais d’origine…

Neil_Hannon

En 2020, The Divine Comedy a fêté ses trente ans de carrière et son leader charismatique ses cinquante balais au compteur. Cela aurait dû être une brillante commémoration hélas retardée par des circonstances que personne ne maîtrise. Ce qui me fait pester davantage contre le sort qui semble collé à la peau de ce cher Hannon qui, selon moi, n’a jamais rencontré un succès à la hauteur de son immense talent. Pourtant, malgré l’estime de ses pairs, il n’a pas su trouver son public bien que celui de ses fans lui soit extrêmement fidèle, comme le prouve ses tournées quasi-complètes en France. Malgré son côté éminemment british et ses inspirations qui lorgnent du côté – pêle-mêle – de Scott Walker, David Bowie ou Philip Glass pour ne citer que quelques noms retenus au gré de ses interviews, Neil Hannon fait l’objet d’un véritable culte dans notre contrée accomplissant même l’exploit d’avoir été porté aux nues en France avant même de se faire un nom de l’autre côté de la Manche. De ce fait, il a toujours une solide base de fans qui ont suivis avec une attention régénérée (attention, teaser !) ses différentes pérégrinations.

 

Les chansons de Neil Hannon constituent en elles-mêmes un univers plutôt inclassable. On les a souvent réduites à du rock baroque aux mélodies ciselées et aux paroles teintées d’ironies qui, en général, vous racontent une histoire en moins de cinq minutes. En ce sens, Hannon est l’un des plus remarquables storytellers de ces dernières décennies. Arrangées avec un soin méticuleux par l’apport de cordes et de cuivres rutilants, la musique de The Divine Comedy n’est nullement alourdie par ces ornements instrumentaux qui ne lui donnent que davantage d’ampleur et de majesté. Aussi à l’aise dans la balade dépouillée que dans un rock aux accents grandiloquents, il me serait difficile de vous faire un classement de ses albums en partant du moins bon au meilleur. Chacun apporte sa pierre à l’édifice et l’excellence en est constante. Vous m’objecterez, avec raison, que je ne dispose pas du recul nécessaire pour, parler d’un groupe devant lequel je me prosterne depuis des lustres. Et vous n’auriez pas tort. En même temps, un blog tel que celui-ci n’a pas vocation à émettre de jugement négatif sur des artistes qui ont eu la capacité à capter votre attention à un moment précis. The Divine Comedy justifie à lui seul la dénomination de ces pages. De ses treize albums studios, et j’y incorpore le tout premier, Fanfare For The Comic Muse paru en 1990 et jamais réédité avant cette année, il m’a fallu pourtant en isoler un. Je n’avais que l’embarras du choix. Après moult tergiversations – qui n’ont pas été bien longues non plus –, je me suis concentré sur celui que j’estime être le plus bel opus de sa carrière.

 

Cependant, je me dois d’être objectif. Si mon choix a été orienté vers le disque en question, c’est tout simplement parce qu’il a été le premier que j’ai eu en ma possession au début de ce siècle. Et pour être honnête, je l’avais acquis par hasard. J’ignorais qui était The Divine Comedy à cette époque. Leur nom me disait vaguement quelque chose sans que je me sois plongé dans une exploration scrupuleuse de leur œuvre passée. En cette Fin du Siècle (référence !), je ne jurais que par les groupes issus de la British Pop (Oasis, Blur, et affiliés) ou les délires formels des Radiohead (je ne m’étais pas remis du choc provoqué par le fabuleux OK Computer). Et il s’avéra que le producteur de cet album de The Divine Comedy était précisément celui du groupe précité ainsi que de cadors tels que Beck ou Travis. Cette simple information glanée dans je ne sais plus quel article avait fait office de porte d’entrée en ce qui me concerne pour acheter Regeneration sorti en 2001.

the-divine-comedy-regeneration

Et je n’en fus pas déçu. Ce fut une véritable claque, un coup de semonce dont je porte encore les séquelles près de deux décennies plus tard. Toutefois, et en cela mon approche pourra vous sembler pour le moins étrange, cet album ne vous donne pas du tout une idée précise de ce qu’est la musique de Neil Hannon. C’est une série de chansons plutôt sombres où les cordes se font discrètes et les guitares omniprésentes.  Il n’est pas du tout représentatif de son style. Si vous me demandiez quel serait l’album à vous recommander pour vous faire découvrir ce groupe, je vous citerai sans réfléchir Promenade (1994), A Short Album About Love (1997) ou Absent Friends (2004) qui déploient l’extraordinaire vitalité créatrice de ce satané Neil. Ici, de légèreté, de cynisme sous-jacent ou d’une vision distanciée sur les êtres qui nous entourent, il n’y en a pas point. Regeneration cumule toutes les apparence de l’album charnière, celui par lequel l’auteur-compositeur essaye de sortir de sa zone de confort et de ne pas se répéter indéfiniment. Pour la première fois depuis ses débuts avec un producteur très éloigné de son univers aux commandes, Hannon se met davantage en danger et ne s’expose plus derrière la peau d’un personnage à mi-chemin entre dandy décadent et poseur flamboyant. Il se montre à nu devant nous, se débrassant de ses oripeaux originels, de ses costumes stylés pour une musique écorchée où il nous révèle un tout autre visage. Si vous vous attardiez sur Regeneration, vous vous feriez une fausse idée de lui. Sur la pochette, il arbore des vêtements basiques, des cheveux longs, en fait ce qu’il était lorsqu’il n’endossait pas la peau d’un de ses personnages. Était-ce la volonté de Nigel Godrich, producteur exigeant et autoritaire qui parvint même à pousser dans ses retranchements un type comme Paul McCartney au point que ce dernier ne garde pas un très bon souvenir de leur collaboration qui donna lieu au chef d’œuvre absolu de sa carrière solo ? D’ailleurs, à l’égal de son illustre confrère de Liverpool, Hannon ne semble pas avoir été à l’aise avec Godrich, tel qu’il nous le dit entre les lignes du texte qui accompagne la réédition de 2020.

 

Mais force est de souligner que The Divine Comedy avec des pépites qui n’ont rien de commun avec Tonight We Fly, Geronimo, I’m All You Need, Something For The Week-End, National Express ou le sublime Songs Of Love atteint des sommets de perfection. Oubliés le rythme frénétique d’un troupeau de chevaux lancés au galop dans les paysages mélancoliques de la campagne britannique. Ici, nous avons droit à de la retenue, comme si nous pénétrions malgré nous dans le domaine intime de Neil Hannon. Epaulé par une bande de musiciens qui se mettent à son diapason, les morceaux s’enchainent les uns à la file des autres avec une logique implacable. Malgré l’absence d’une ligne directrice qui prévalait lors de ses précédentes livraisons, Regeneration est d’une unité constante depuis l’acoustique Timestreched jusqu’au final The Beauty Regime. Entre ces deux morceaux qui servent à la fois de lever et baisser de rideau, se déroulent une suite de titres somptueux où la voix magnifique de baryton de Neil se met volontairement en retrait pour mieux en accentuer la mélancolie. La basse ou la guitare électrique sont là, en sourdine, parfois oppressante (Note To Self, Eye Of The Needle ou le titre éponyme avec son crescendo hallucinant). Quand bien même Neil succombe parfois à des airs faussement enjoués (Perfect Love Song ou Love What You Do), c’est une certaine noirceur qui prédomine au bout du compte. A ce niveau, il convient de citer ce que j’estime être le summum en matière d’écriture dans toute l’histoire de TDC, à savoir Bad Ambassador, Lost Property et l’exceptionnel Mastermind. Ces trois chansons sont tout bonnement remarquables de la première à la dernière seconde. On a le sentiment en les écoutant  d’une profonde tristesse, d’un spleen lancinant qui ne nous inspire guère un sentiment de gaieté. C’est ce qui ressort de cet album et qui me paraît contradictoire.

 

Lors de son enregistrement, Neil Hannon est à l’apogée de sa carrière. Ses trois derniers albums se sont hissés dans le Top Ten des British Charts, dont un Best Of qui est monté à la troisième place. Il est fraîchement marié et jeune père. Il n’a plus qu’à dérouler le fil qui se tend devant lui et de reproduire à l’infini le style qui lui avait valu les honneurs du public. Mais voilà que ce bougre d’homme prend un contrepied total et tempére ses ardeurs en décontenancant ses admirateurs. Regeneration n’est pas en soi un disque "agréable". Il peut même en rebuter certains (d’ailleurs, son succès sera bien moindre et sonnera le glas de ses ambitions).

 

C’est là que réside toute l’ambiguïté. J’ai été initié à The Divine Comedy par le biais de cet album. Je n’avais aucun a priori. A mon avis, il allait dans la droite ligne de ce que j’écoutais à l’époque. Il ne m’avait donc pas surpris en tant que tel. Quand bien même je me suis ensuite mis en quête de ses œuvres ultérieures sans retrouver la grâce indéfinissable de ce pur chef d’œuvre estampillé 2001, cela ne m’a nullement empêché de devenir un fan extatique de Neil Hannon. Parce que la musique peut aussi être de temps à autre question de préjugés. Il ne fut ni le premier ni le dernier musicien de la planète à tenter autre chose ou à avoir une approche différente de son art. Certains ont réussi, d’autres se sont cassés les dents. Malgré tout, Regeneration demeure un album exemplaire. Je ne comprends pas qu’il ne soit pas cité comme l’un des meilleurs de tous les temps. Mais ce sont les injustices inhérentes à un milieu qui préfère saluer les créations de chanteurs et chanteuses indigents plutôt que d’honorer un type tel que Neil Hannon qui parvient à vous pondre une demi-douzaine de merveilles par disque, au point de rendre tout projet de compilation dérisoire.

 

Par contre, pour conclure, même si je vous engage vivement à jeter une oreille sur Regeneration, précipitez-vous également sur le coffret Venus Cupid Folly And Time qui vient de sortir. S’il y a bien quelqu’un qui mérite de se voir récompenser de ses efforts et de vous délester prestement d’une centaine d’euros, c’est bien Neil Hannon et sa Divine Comedy. Offrez-vous, en ces temps difficiles, un voyage à peu de fais. Je vous garantis un dépaysement total !

Alex Miles


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